Si nous ne pouvons la faire pratiquer je m’arrangerai de manière que la chambre du fond sera inconnue, barricadée, impénétrable pour les étrangers. Je serai censée n'avoir que deux pièces, la troisième sera la chambre noire, la chambre mystérieuse, la cachette du revenant, la loge du monstre, la cage de l'animal savant, la niche du trésor, la caverne du vampire, que sais-je ? nous verrons. (George Sand, Correspondance, N°388, p.882.)
jeudi 23 juin 2016
Le démon du masque
Chaque fois qu'elle entre dans une pièce, Jesse capte toutes les attentions. S'il y a bien une chose que ne semble pas craindre Nicolas Winding Refn dans sa mise en scène de The Neon Demon, c'est d'en faire trop – au point que, sans vouloir faire injure à son interprète Elle Fanning (qui, de fait, a déjà eu plusieurs occasions de prouver qu'elle possédait quelque chose d'un pouvoir de cet ordre à la mesure de films entiers), il est tout de même permis de se demander ce qui met ainsi certains protagonistes au bord de l'orgasme dès qu'elle fait trois pas. La réponse en est explicitement donnée dans une scène du dernier tiers du film : Jesse porterait l'irruption d'une beauté naturelle, spontanée, intouchée, dans un univers de mannequins bistourisés, qui, sous couvert de recherche de la perfection, n'ont atteint que l'artificialité. Elle est le soleil de ces fantômes et ces vampires. Le premier paradoxe apparent (mais, à n'en pas douter, voulu) est que ce jugement est porté à un moment où Jesse a justement entamé une métamorphose qui échappe au commentateur ; si celle-ci n'est pas de l'ordre de la chirurgie, il est en tout cas clair, à ce stade, que ce qui pouvait paraître constituer l'innocence du personnage est en cours d'abandon comme la dépouille d'une mue. Simultanément, le second paradoxe est que cet éloge du "naturel" est le propos d'un film formaliste en diable, maniériste jusqu'au bout des ongles. Si le réalisateur revendique le classique A Star Is Born comme source première de son inspiration, à l'écran le résultat ressemble au fruit des amours imprévues des Showgirls de Paul Verhoeven et du Knight of Cups de Terrence Malick, accouché par les mains de Paul Schrader et Dario Argento avant d'être passé à la moulinette d'un David Lynch. Foisonnement de références esthétiques comme en écho au foisonnement d'un scénario pointant vers de multiples pistes de développements possibles – qu'il prend hélas rarement le temps d'explorer trop avant (je me prends à rêver d'une déclinaison sous forme de série télévisée, mais je m'égare). Le destin de son héroïne et la forme même du film jouent, en cela, la même partition : l'introduction, au cœur d'une efflorescence aussi factice que toxique, d'une particule d'innocence et de naturel, aussitôt jalousée, convoitée, désirée, et finalement – et littéralement – dévorée, ingérée. Mais jamais tout à fait digérée...
jeudi 12 mai 2016
Comédie de l'innocence
Le goût de Woody Allen pour ces années 30 et 40 qui l'ont vu naître et grandir est, on le sait, à double tranchant : au long de sa carrière, il en aura fait le théâtre aussi bien de quelques-uns de ses meilleurs films que de quelques-uns de ses plus mauvais. Deux ans après l'incompréhensible ratage de Magic in the Moonlight (qui avait tout, sur le papier, pour prétendre à la première catégorie, et tout, à l'écran, pour tomber dans la seconde), Café Society remet le couvert de façon heureusement beaucoup plus inspirée. S'il n'est pas exempt de quelques défauts, un scénario et une mise en scène élégants, un trio d'acteurs (Jesse Eisenberg, Kristen Stewart et Steve Carrell) à leur meilleur, une bande-son (jazz, forcément) au diapason, et une image résolument sublime due à Vittorio Storaro – le directeur de la photographie, notamment, d'Apocalypse Now et de nombreux films de Bertolucci, que l'on retrouve ici en très grande forme après plusieurs années d'absence des plateaux –, qualifient à n'en pas douter cet opus comme ce qu'il est convenu d'appeler, dans la filmographie allenienne, un très bon "cru". Récit d'éducation sentimentale en même temps que d'ascension sociale entre Hollywood et Manhattan, Café Society trouve dans l'imagerie d'une époque et la fascination qu'elle exerce le matériau à cette transmutation alchimique propre au Woody des grands jours, qui nous amuse et nous enchante d'un tableau dont il ne nous cache pourtant rien du caractère amer, cynique et presque désespéré. D'un lieu de fête à l'autre, des grandioses villas de stars (avec piscine obligée) de Los Angeles au club new-yorkais où croisent et se croisent célébrités, politiciens, aristocrates et mafieux, c'est la même joyeuse facticité que l'on retrouve à l'œuvre, et prétendre à l'innocence ou à la prise de distance désabusée, à la pureté des sentiments, voire à la rectitude morale, n'est jamais qu'une posture comme une autre, peut-être pas la moins artificielle. Les anciens amants qui s'y retrouvent après des années, et s'étonnent d'abord chacun de ce que l'autre a "changé", devenant tout ce qu'il prétendait fuir ou détester, ne peuvent dès lors que découvrir qu'ils n'ont jamais que changé de masque, tout au plus, et laissé tomber avec le temps celui sur l'autel duquel ils ont sacrifié un amour désormais impossible à retisser. Allen, bien sûr, fait partie de ces gens qui s'empressent de rire de peur d'être obligé de pleurer (ce qui, dans la bouche de la mère juive du héros du film, se traduit à peu près : "Live every day like it's your last, and some day you'll be right") ; Café Society en apporte une illustration renouvelée, magnifiquement douce-amère.
dimanche 1 mai 2016
Peau neuve
Enfin avril a mis de la légèreté dans le quartier. Aux abords de Saint-Germain-des-Prés, les arbres ont l'air d'avoir fait peau neuve comme si des écorces moussues étaient tombées après la fonte des neiges de mars, les longues pelisses ont disparu, et parmi les hommes qui semblent aller sans but il n'en est plus qu'un petit nombre dont on ait des raisons de penser que ce sont des policiers en civil.
André Pieyre de Mandiargues, Mascarets, "Adive".
Inscription à :
Articles (Atom)