dimanche 20 novembre 2011

L'étreinte du monde


À la lueur de la lune qui recouvrait l'île
comme si s'était rouvert le volcan disparu
nos mains se changeaient en pieuvres
cherchant des corps proches et hors d'atteinte
avant de se perdre dans leurs creux obscurs.
Doigts blancs, tentacules blancs, jointures blanches
les mains tentaient de retenir
dans leurs paumes humides
la forme de ton corps qui changeait toujours
et toi-même changeait, tu n'étais plus toi
tu étais les sept femmes que j'ai aimées
et moi j'étais les sept jeunes gens dormant
sept fois martyrs et sept fois morts.
Dès que j'étends les mains pour te toucher
je trouve la mer, les pierres, la lune
qui existent au-delà de nous et nous ignorent.
Comme tout le monde ignore que des années plus tôt
on m'a enterré dans la cour
de cette église déserte, oubliée.
Décembre 1968

Titos Patrikios (traduction par Michel Volkovitch), Arrêt facultatif, "Les sept dormants". – Hokusai, L'ama et le poulpe, dit "Le rêve de la femme du pêcheur".

samedi 12 novembre 2011

vendredi 4 novembre 2011

Mélancolique lecture

Certes Diderot, dressant l'Éloge de Richardson, entend bien faire comprendre qu'on n'est pas là dans le domaine des productions romanesques "chimériques et frivoles", mais tout de même. Faut-il que les épanchements vertueux du père de Clarisse Harlove et de Pamela le touchent étrangement, pour qu'évoquant la façon dont l' "affecta délicieusement" la découverte de cette œuvre lors d'un séjour à la campagne, il le fasse par cette seule notation paradoxale : "À chaque instant je voyais mon bonheur s'abréger d'une page. Bientôt j'éprouvai la même sensation qu'éprouveraient des hommes d'un commerce excellent qui auraient vécu ensemble pendant longtemps et qui seraient sur le point de se séparer. À la fin il me sembla tout à coup que j'étais resté seul." Il est vrai que Diderot pointe là un phénomène bien connu des lecteurs, pris d'une discrète indécision quant au bon rythme auquel tourner les pages à l'approche de la fin du volume, tiraillés entre le désir d'en venir au fin mot de l'histoire et le regret, déjà, de cette fin, inexorable quand on voudrait pourtant encore prolonger l'aventure, rester auprès des personnages. L'on sait des volumes dont la façon dont ils nous lient par de tels sentiments ne sont, de fait, pas le moindre mérite. – La même expérience, d'ailleurs, est connue des amateurs de séries télé, à l'heure où ce format s'affranchit de plus en plus du carcan de la diffusion télévisée proprement dite, par le biais du DVD ou du téléchargement : faire durer le plaisir, le suspense, ou s'enfiler toute une saison en un week-end de météo maussade ? Le singulier ici est que Diderot, s'il s'étend largement sur les vertus du roman de la Vertu ou la véracité de la peinture morale des passions, semble résumer le "bonheur" de sa lecture, proprement dit, à ce seul phénomène (un seul livre vous manque, et tout est dépeuplé). On peut choisir de reléguer une telle formule à une lubie de l'individu Diderot. Ou la laisser nous questionner : quelle est la part du masochisme en nous, qui nous fait prendre plaisir à nous attacher à un univers de fiction auxquels nous nous savons condamnés à être finalement arrachés ?...

mercredi 2 novembre 2011

Les dieux en ce jardin

Seul le printemps règne pour les êtres qui rêvent.
Pascal Quignard, Les Paradisiaques, XXXVI

mardi 1 novembre 2011

Vol au-dessus d'un nid de souvenirs


On n'arrête pas le progrès, mais parfois, comme par un tour astucieux, celui-ci semble nous renvoyer toujours plus loin vers le passé. Ma précédente expérience de déplacement en avion par-dessus l'Atlantique remontait à près de dix ans, et je garde toujours le souvenir des deux films diffusés alors à tous les passagers, à l'aller un polar militaro-judiciaire médiocre où je retrouvais avec dépit Jim Caviezel loin des éblouissements de The Thin Red Line de Malick, au retour une horreur caractérisée avec Arnold Schwarzenegger en pompier post-11 septembre revanchard traquant dans la jungle un terroriste responsable de la mort de sa famille, du genre très méchant qui tue les gens en les forçant à ingurgiter un cobra vivant. C'est donc non sans un certain emballement que j'ai pu découvrir, il y a un peu plus d'une semaine, les écrans individuels placés derrières les sièges, donnant accès à un choix appréciablement large et varié de films – du Macbeth de Welles à The Tree of Life, de God's Little Acre à The Social Network, du Flash Gordon de 36 à Green Lantern (j'avoue avoir, pour ma part, finalement opté pour un improbable film chinois) –, ainsi que de musiques en tous genres ou presque, des chaînes d'info, des jeux pour les plus jeunes, etc. Mais l'option laissant peut-être le plus de place à l'imaginaire est celle qui vous permet de suivre en direct la trajectoire de vol, cartes à l'appui. Découvrant ainsi, la Manche franchie, que l'avion dans lequel je me trouvais survolait les campagnes des environs de Canterbury, je n'ai pas pu m'empêcher de repenser immédiatement à la belle séquence d'ouverture du film de Powell et Pressburger, avec son faucon se "transformant" en Spitfire d'une époque à l'autre. Et d'imaginer, au sol, l'avion qui m'emmenait vers le Canada scruté par un soldat britannique de la Seconde Guerre Mondiale, ou quelque seigneur médiéval en cours de pèlerinage...