C'était l'heure tranquille où les ouatures vont boire.
Cosmopolis est un film qui n'a rien à dire, mais
qui déploie beaucoup de bavardage pour donner le change et tenter de
faire croire qu'il discoure sur le Rien (en l'espèce, "le Rien comme corollaire du crépuscule du capitalisme", ou quelque chose du genre). Ce petit tour de passe-passe – faire passer l'absence d'objet pour le sujet – ayant plutôt bien réussi à quelques autres par le passé, on hésiterait presque à blâmer Cronenberg d'avoir essayé. D'autant que Cosmopolis peut effectivement produire une sorte de léthargie fascinée, qui en rend l'appréciation exacte assez difficile.
Patterson est transparent et inexpressif, les lignes et les lignes de
texte s'accumulent, leur contenu semble pensé pour être impossible à
mémoriser plus de trente secondes, les face-à-face et les dialogues de
sourds s'enchaînent, et sur la corde raide du
formalisme stylisé, la réalisation bascule plus d'une fois dans le
degré zéro du théâtre filmé. Si la psychologie du personnage central
évolue entre l'inexistence et la caricature improbable, il est une chose
que le spectateur peut partager, c'est son envie d'échapper à cette
atmosphère raréfiée pour éprouver des pulsions plus primaires : sexe et
violence. Ainsi, plus que ses interminables pontifiages théoriques, plus
même que la confrontation finale avec l'assassin qui se résorbe en
nouvelle séquence de verbosité, deux scènes coïtales (les dire
"érotiques" serait déplacé), quoiqu'assez mal fichues et en elles-mêmes
guère moins insignifiantes que le reste, semblent comme le cœur secret
du film. Immanquablement alors se profile le souvenir
de Crash, jambes en l'air et taule froissée. Crash était,
et reste, un film qui a beaucoup à dire. Sur le cul (les voies troubles de la jouissance) et sur le culte (celui des voitures jusqu'à la pratique massive du sacrifice sanglant, la fascination pour les carambolages et pour la mort des stars). Cronenberg alors était
malsain, sûrement, maladroit, parfois, mais non ennuyeux ; il se
préoccupait de mise en scène, non de pur formalisme. À seize années de
distance, Cosmopolis a des allures d'illustration en creux des théories de Vaughan sur le pouvoir générateur des accidents de la route ("a fertilizing rather than a destructive event"). La limousine
d'Eric Packer, que nous ne quittons quasiment pas,
glisse doucement dans une sorte de vide, censé vaguement évoquer un
embouteillage. Quelques anarchistes pourront bien l'amocher
un peu, mais certainement pas l'empêcher de rentrer au garage le soir
venu. Dans l'habitacle, Packer se pense invulnérable parce qu'il est détaché de tout, mais il lui faut mendier auprès de toutes les femmes qu'il croise, ou presque, un peu d'excitation, qui le maintienne en vie, un tant soit peu, lui permette de continuer d'avancer, et de parler. L’œuvre et le personnage sont à l'image l'un de l'autre. Tous deux se voudraient les interprètes absolus d'un monde épuisé : ils n'en sont, au mieux, que les symptômes.
Même si "Cosmopolis" séduit moins que "Crash" - de Don DeLillo, il faut lire l'excellent "Point Oméga" basé sur une installation inspirée de "Psychose" -, Cronenberg ne recule devant rien et surtout pas l'adaptation d’œuvres 'infilmables' (cf. le superbe "Festin nu").
RépondreSupprimerPour un portrait impressionniste de cet auteur que nous aimons beaucoup, malgré ou à cause de ses métamorphoses :
http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/la-fievre-au-corps-le-cinema-de-david_3015.html?view=magazine