mercredi 20 avril 2011

Inanité superbe

Il vécut dans la pourpre des sons, chaque nuit.


Récit mal-aimé de son auteur, et l'un de ses moins connus, L'Empereur d'Occident (publié pour la première fois en 1989) nous transporte dans les replis d'un Ve siècle immémoré. Si son titre semble faire contraste avec le programme des Vies minuscules à l'écriture desquelles il succéda directement, c'est bien encore l'un de ces ignorés qu'il affectionne que Pierre Michon transfigure par l'écriture jusqu'à nous en offrir un portrait inoubliable. Derrière le vieux levantin à la main mutilée, passant ses journées face à la mer, cillant un peu, de ses yeux myopes, "pour retenir l'image d'une voile fuyante, emportée de-ci, de-là, sans recours s'amenuisant, vers l'île Stromboli, ou le blanc révélé du ventre des mouettes quand face au soleil elles virent de bord, se cabrent avec lenteur, s'offrent sans fin", se dessinent peu à peu les éléments d'un parcours à la fois dérisoire et éminent. À la lueur des thèmes qui obsèdent toute son œuvre (l'art, le père, les morts, le sacré...), Michon, tel "Ulysse dialoguant avec les grands cadavres bavards", invoque et visite ceux qui firent l'Histoire, et que l'Histoire recouvrit de ténèbres, dont les noms ne sont plus guère connus que de quelques doctes spécialistes. Des vies authentiques des deux hommes qu'il fait se rencontrer sur un banc de pierre des îles Lipari et se découvrir presque frères, d'autres eussent tiré des volumes ; lui brosse sa fresque en quelques dizaines de pages, du sac de Rome à l'orée des Champs catalauniques, dans une prose tour à tour rude et somptueuse, sensuelle et mélancolique, jamais académique. Mais c'est longtemps, une fois encore, que nous hantera son chant, chant d'aède revêtu de pourpre empruntée pour des rois engloutis.

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