Si nous ne pouvons la faire pratiquer je m’arrangerai de manière que la chambre du fond sera inconnue, barricadée, impénétrable pour les étrangers. Je serai censée n'avoir que deux pièces, la troisième sera la chambre noire, la chambre mystérieuse, la cachette du revenant, la loge du monstre, la cage de l'animal savant, la niche du trésor, la caverne du vampire, que sais-je ? nous verrons. (George Sand, Correspondance, N°388, p.882.)
mardi 15 avril 2014
Fisher piranésien
The Brides of Dracula, ou la rencontre fortuite sur une table de dissection des toiles de Caspar David Friedrich et des Carceri de Piranese. Le deuxième des trois films consacrés par Fisher au "monarque des vampires" (tel qu'il se voit promu dans les premières minutes d'un opus dont il est par ailleurs tout à fait absent) n'est certes pas le meilleur. Il est en revanche l'un des films où éclatent de la façon la plus frappante l'art fisherien de la composition des plans et ses sources d'inspiration paradoxales. Au peintre romantique allemand, le cinéaste anglais emprunte manifestement beaucoup, ici comme ailleurs. Ses édifices gothiques massifs s'élevant, plus ou moins ruinés, dans des lumières crépusculaires, entre des arbres aux branchages décharnés, surplombant et parfois écrasant les fragiles silhouettes humaines, fournissent une grammaire visuelle inlassablement recomposée de séquence en séquence, selon des ordonnancements toutefois toujours reconnaissables. Mais le souvenir du graveur italien et de ses prisons capricieuses vient s'y mêler, et les subvertir, lors des scènes au château Meinster. Le plan le plus remarquable à ce titre (d'autant qu'il se voit plusieurs fois répété) est la vue plongeante qu'a Marianne, depuis son balcon, des appartements du baron enchaîné. Fouillis architectural et point de vue excentré s'y ajoutent – comme ils le feront dans toutes les scènes d'intérieur, le réalisateur systématisant là en les exagérant encore des maniérismes déjà présents dans Horror of Dracula – pour concourir à l'égarement du regard, propédeutique à d'autres vertiges. La perte de repères visuels prépare et matérialise la perte de repères morale, en un lieu où règnent le doute permanent quant à la répartition des rôles de victime et de bourreau, l'instabilité mentale sombrant du malaise dans la folie pure. Mêlant Piranese à Friedrich, Fisher bâtit et nous invite à visiter comme l'intérieur secret, angoissant et dément, derrière l'extérieur splendide des visions romantiques.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire