vendredi 20 mai 2011

Des cartes pour se perdre


Autre voyage. Pas de carte postale dans Room in Rome, de Julio Medem, au dispositif minimaliste : deux femmes, une chambre d'hôtel, la nuit la plus courte de l'année. Mais des cartes. Le programme, pourrait-on dire, en est déroulé en même temps que le plan de la Ville du temps des Césars sur lequel Alba prétend inviter Natasha à situer son hôtel : "It's a map to lose yourself." Pourquoi en irait-il autrement des vues "Google Earth", prétendument plus "réalistes", abondamment consultées par la suite ? L'originalité du film de Medem tient moins à l'enfermement de sa structure (qui n'est pas sans antécédants) qu'à la façon dont elle s'articule aux ouvertures qui la doublent, perturbant la logique du voyage (ici érotique) autour de ma chambre. Car nos chambres, ces quatre murs entre lesquels Natasha voudrait un temps retenir cette histoire d'un soir, qu'elle n'affecte pas le reste de sa vie, nos chambres désormais sont câblées, connectées, pleines de fenêtres numériques ouvertes sur des images d'ailleurs. Sur l'Espagne, la Russie, l'Italie, l'Arabie, la Grèce. Et sur des histoires. Il serait vain de prétendre opposer une vérité qui se jouerait, d'une part, dans la dénudation des corps appelant, croit-on, au dénudement des âmes, et d'autre part, à l'extérieur, un univers trompeur, douteux si ce n'est inconnaissable, passé sous le sceau du virtuel ; car les deux sont inextricablement liés. L'équivoque est partout chez elle, qu'on y voie une limite ou une ouverture. Il n'est pas jusqu'à l'apparente évidence de l'ici et maintenant des corps, des épidermes, sur laquelle la possibilité de la gémellité ne projette le soupçon. Les sens sont troublés. Les sentiments sont incertains. La parole, fabulatrice. Les images, limitées à tous égards, dans le temps, dans l'espace, et le sens qu'on leur prête. Quel est le point de vue du satellite ? Certainement pas celui de Dieu, ou alors d'un Dieu myope et borgne – ce qui, peut-être, ne fait qu'ajouter à la fascination qu'exercent ses oracles. Les cartes sont faites pour se perdre, les cadres pour rêver à ce qui les excède. Une femme nue en invite une autre à regarder l'écran de son ordinateur portable, où s'affiche tout un monde qui ne prétend à la représentation du réel que pour mieux servir de support à l'infinité des fictions possibles : on y verrait volontiers une allégorie. Room in Rome n'est sans doute pas un chef-d’œuvre, mais s'avère, à bien des points de vue, une fascinante perle baroque.

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