samedi 18 mai 2013

The Grandmaster en ses éclats


Le kung-fu, c'est deux mots : vertical, horizontal. Outre une orientation marquée, mais assez peu surprenante, vers le formalisme (en l'espèce, l'attention à l'apparence des idéogrammes plutôt qu'à leur sens), cette définition toute personnelle qui ouvre et clôt The Grandmaster (Yî Dài Zông Shî) de Wong Kar-wai attire l'attention sur une division, un antagonisme, ce qui ne détonne pas dans un film qu'on dira, au choix, tout entier parcouru ou prisonnier de jeux d'opposition. Esthétisation contre lisibilité, tout d'abord : ce qui apparaît clairement (si l'on peut dire) dans la scène d'ouverture, séquence de combat de rue sous la pluie aussi admirable et impressionnante... que foncièrement incompréhensible, tant dans ses enjeux que dans le détail de son déroulement. Un peu plus tard pourtant, le film semble s'engager dans une toute autre voie, dans une présentation résolument didactique des différentes techniques de kung-fu. Une autre opposition se dessine, dans le scénario comme dans la mise en scène : ce sera transmission contre affrontement. Sur la forme, on pourrait pointer un troisième binôme, mais qui n'est au fond qu'une variante des précédents, picturalité / chaos. Valse-hésitation perpétuelle entre une volonté explicative et pédagogique, et une réticence à se compromettre dans le "genre", qui, à force de ruptures, marque aussi une des limites du film. Sur le fond, on retrouvera ce même éclatement impossible à tenir dans le dilemme qui agite le grand maître Gong Baosen, qui ne peut transmettre son héritage d'unification des écoles de kung-fu sans que cela ne passe par une compétition qui va exactement à l'encontre de ce projet ; on remarquera que la première partie du film repose sur une division du pays entre Nord et Sud, division qui ne sera abolie par la suite que par la naissance d'une nouvelle frontière, entre Hong Kong, où se retrouvent relégués les personnages, et le reste de la Chine ; et que la "succession" de la famille Gong se retrouve elle-même divisée entre deux personnes en conflit, Ma San et Gong Er. On pense un moment, dans les dernières scènes (en particulier la belle dernière entrevue entre Ip Man et Gong Er, quand celle-ci lui annonce vouloir "boucler le cycle"), tenir la clé qui permettrait d'unifier le film par-delà toute les failles qui le constituent (aussi paradoxale que soit une telle formulation). Mais l'unité se dérobe encore une fois, et l'on repense au petit gâteau d'une des principales scènes de la première partie du film, enjeu d'une double injonction contradictoire. Pour prouver qu'il est à la hauteur technique de Baosen, Ip Man doit parvenir à s'emparer du gâteau dans la main du maître et à le briser ; pour prouver qu'il est à la hauteur de son legs spirituel, il doit en revanche laisser le gâteau intact, ayant été précisé que le gâteau symbolise la Chine. Tout The Grandmaster, en somme, est à l'image de ce petit gâteau et de cet enjeu qui rend impossible une réussite franche. Ce qui, par ailleurs, n'exclue par des moments de grâce, Gong Er et Ip Man n'étant finalement jamais aussi près de l'union des corps et des cœurs que lorsqu'ils s'affrontent.

1 commentaire:

  1. Une lecture plus enthousiaste de ce film sur le Temps, qui détruit tout (dixit Noé) sauf le cinéma, où il devient forme et matériau, bel et logique hommage à Leone, aussi :
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/the-grandmaster-lhomme-sans-passe.html?view=magazine

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