samedi 28 avril 2012

Not the Dr. Horrible Sing-Along Blog

Houston, nous avons un problème. On a beau ne signer que d'une initiale et ne rien dire de soi, on n'en a pas moins une image de marque. Et côté cinéphilie, ici on vénère Kubrick, Malick, Lynch, je ne ne vous fait pas la liste complète mais vous voyez le topo : on fait dans le sérieux, ma petite dame.  (Certes on rend aussi quelques cultes occultes à Rollin ou Franco, mais il y a une sorte d'aristocratie du bis et du Z :  aristocratie de cour des miracles.) Seulement, là, tout de suite, j'ai beaucoup de mal à chercher les mots pour dire à quel point le dernier Coppola, Twixt, est un film que j'aimerais aimer mais que je trouve absolument raté, irrémédiablement mauvais, et profondément embarrassant ; à détailler parmi les cent et unes raisons du naufrage ; ou même à m'en servir pour rebondir sur un éloge de The Woman in Black de James Watkins, sorti quelques semaines plus tôt dans l'indifférence générale sous la bannière de la Hammer ressuscitée... Parce que là, tout de suite, ce dont j'ai envie, c'est d'attraper mes lunettes 3D et de retourner au plus vite revoir encore une fois les Avengers de Joss Whedon.

(à suivre...)

samedi 21 avril 2012

Chronologie


L'une des grandes beautés de The Ghost and Mrs. Muir tient peut-être dans cette contradiction aux lois du "bon sens", que toute sa première partie s'offre à nous comme parfaitement naturelle, sans presque aucun des effets de manche que génère souvent la représentation du surnaturel, tandis que c'est tout le reste de la vie plus banale de l'héroïne, après que s'est retiré le fantôme du capitaine, qui, par les brusques sauts à travers les années qu'impose le récit, ressemble étrangement à la conduite d'un rêve, et s'en trouve, à nos yeux, teinté d'un sentiment d'irréalisme. Le quotidien, le matériel, ne bornent pas, ne définissent pas tout entier le réel. La passion est la vérité.

jeudi 19 avril 2012

Au bal


L'homme danse volontiers la danse macabre, et, ce qui est bizarre, il la danse sans le savoir. C'est à l'heure où il est le plus gai qu'il est le plus funèbre. Un bal en carnaval, c'est une fête aux fantômes. Le domino est peu distinct du linceul. Quoi de plus lugubre que le masque, face morte promenée dans les      joies ! L'homme rit sous cette mort. [...] Des brucolaques et des lycanthropes se perdraient dans cette foule. Un débardeur tutoie peut-être un vampire. Qui sait si cette cohue obscène n'a pas, en venant ici, laissé derrière elle des fosses vides ?

Victor Hugo, Le Promontoir du Songe. Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut.

lundi 16 avril 2012

Cartes sur table


Elle dit : Dans mon jeune âge, ma mère me reprochait mon manque d'entrain à apprendre les tables de multiplication. Je l'entends encore m'en parler régulièrement. Si elle savait où j'en suis aujourd'hui... Entamer une double vie fut presque un jeu d'enfant. Passer à une triple, à une quadruple sembla, dès l'abord, couler de source. Quelques difficultés se présentèrent bien de temps en temps. Mais rien que je n'aie pu surmonter par la suite. Cependant, je dois avouer que tout cela commence à m'effrayer un peu, maintenant que j'envisage de me lancer dans une quintuple, peut-être même une sextuple vie (car je sens que je vais avoir bien du mal à choisir entre ce jeune clerc de notaire un peu timide, mais d'une timidité charmante, à qui j'ai commencé à raconter que je travaillais dans l'humanitaire, et cette belle inconnue rousse aux regards dominateurs que je croise de plus en plus souvent à la même terrasse de café). C'est qu'avec tout cela il devient compliqué de conserver, pour moi-même, un peu d'espace et de temps pour mon jardin secret.

samedi 14 avril 2012

Versailles champ de bataille


Devant Les Adieux à la reine, un souvenir de Lucrèce : Suaue, mari magno turtantibus aequora uentis, / e terra magnum alterius spectare laborem... Suaue etiam belli certamina magna tueri / per campos instructa tua sine parte pericli... La particularité du Versailles de ces jours de mi-juillet 1789 que filme Benoît Jacquot, adaptant le roman de Chantal Thomas, pourrait justement être de court-circuiter cet axiome célèbre. Car le palais est à la fois le rivage paisible, l'abri d'où il est doux d'observer les risques que d'autres courent dans la tempête, et le lieu de la tempête elle-même. Si la Bastille est loin, le danger se rapproche. On se souvient que le Marie-Antoinette de Sofia Coppola, il y a quelques années, s'achevait sur la brusque rupture des rituels répétitifs de l'étiquette, comme d'un coup fracassés contre l'irruption de l'évènement historique ; on pourrait dire que Benoît Jacquot se focalise, lui, sur les instants de basculement entre l'un et l'autre. Un microcosme déstabilisé y vacille sur ses bases, sans s'effondrer encore, et deux temporalités semblent soudain cohabiter. On fait, défait, refait des plans de fuite, on craint déjà pour sa tête, on désosse les pierres précieuses des parures et on prépare les malles, dans le même temps qu'on continue à s'occuper de mode, de broderie, de sentiments ou de libertinage. Rats morts et dames en beaux habits flottent de conserve sur les eaux du Grand Canal. Une aristocrate se pend, sans que l'on en puisse déterminer la cause, peine de cœur ou panique historique. Et si l'on scrute les tenues du roi ou de la Polignac, c'est que l'empire du costume est aussi empire du sens, les étoffes et accessoires autant de déclarations d'intention face aux évènements. Dans ce décor incertain, le triangle "amoureux" formé par Sidonie, la lectrice, Marie-Antoinette, la reine, et Gabrielle, la favorite, est lui-même caractérisé par l'ambiguïté propre à cette sentimentalité spécifique au XVIIIe siècle, oscillant entre amitié passionnée et érotisme platonique. Sidonie, enfin, qui donne son point de vue au film, est elle-même un personnage au statut équivoque : elle appartient à la domesticité, mais à une sorte d'élite, presque d'aristocratie, au sein de celle-ci ; elle n'a rien à gagner de la monarchie (la dernière entrevue avec Marie-Antoinette est un sommet de cruauté, Sidonie se voyant déposséder par son idole de tous ses mérites comme de tous ses désirs), mais elle a tout à perdre de la Révolution. De tant de remous, d'incertitudes et de clairs-obscurs s'enchâssant les uns dans les autres, il est remarquable, d'une part, que Benoît Jacquot ait su tirer une œuvre qui ne se perde pas en route, n'en fasse pas moins ressentir, dans toute sa puissance tragique, la logique d'effondrement d'un règne ; et il est regrettable, d'autre part, que la réception critique se soit trop souvent bornée à réduire à de petites étiquettes, supposément plus ou moins outrageantes ("qualité française", "cinéma du milieu", etc.), possiblement l'un des plus beaux films de l'année.

dimanche 8 avril 2012

L'année des méduses


De ce qu'il lui était arrivé plusieurs fois de trouver dans l'eau de mer parfaitement limpide d'assez gros animaux inattendus, de formes diverses, de l'espèce méduse, qui, hors de l'eau, ressemblaient à du cristal mou, et qui, rejetés dans l'eau, s'y confondaient avec leur milieu, par l'identité de diaphanéité et de couleur, au point d'y disparaître, il concluait que, puisque des transparences vivantes habitaient l'eau, d'autres transparences, également vivantes, pouvaient bien habiter l'air. Les oiseaux ne sont pas les habitants de l'air ; ils en sont les amphibies. Gilliatt ne croyait pas à l'air désert. Il disait : Puisque la mer est remplie, pourquoi l'atmosphère serait-elle vide ? Des créatures couleur d'air s'effaceraient dans la lumière et échapperaient à notre regard ; qui nous prouve qu'il n'y en a pas ? L'analogie indique que l'air doit avoir ses poissons comme la mer a les siens ; ces poissons de l'air seraient diaphanes, bienfait de la prévoyance créatrice pour nous comme pour eux ; laissant passer le jour à travers leur forme et ne faisant point d'ombre et n'ayant pas de silhouette, ils resteraient ignorés de nous, et nous n'en pourrions rien saisir. Gilliatt imaginait que si l'on pouvait mettre la terre à sec d'atmosphère, et que si l'on pêchait l'air comme on pêche un étang, on y trouverait une foule d'êtres surprenants. Et, ajoutait-il dans sa rêverie, bien des choses s'expliqueraient.
La rêverie, qui est la pensée à l’état de nébuleuse, confine au sommeil, et s'en préoccupe comme de sa frontière. L'air habité par des transparences vivantes, ce serait le commencement de l'inconnu ; mais au delà s'offre la vaste ouverture du possible. Là d'autres êtres, là d'autres faits. Aucun surnaturalisme ; mais la continuation occulte de la nature infinie. Gilliatt, dans ce désœuvrement laborieux qui était son existence, était un bizarre observateur. Il allait jusqu'à observer le sommeil. Le sommeil est en contact avec le possible, que nous nommons aussi l'invraisemblable. Le monde nocturne est un monde. La nuit, en tant que nuit, est un univers. L'organisme matériel humain sur lequel pèse une colonne atmosphérique de quinze lieues de haut, est fatigué le soir, il tombe de lassitude, il se couche, il se repose ; les yeux de chair se ferment ; alors dans cette tête assoupie, moins inerte qu'on ne croit, d'autres yeux s'ouvrent ; l'Inconnu apparaît. Les choses sombres du monde ignoré deviennent voisines de l'homme, soit qu'il y ait communication véritable, soit que les lointains de l'abîme aient un grossissement visionnaire ; il semble que les vivants indistincts de l'espace viennent nous regarder et qu'ils aient une curiosité de nous, les vivants terrestres ; une création fantôme monte ou descend vers nous et nous côtoie dans un crépuscule ; devant notre contemplation spectrale, une vie autre que la nôtre s'agrège et se désagrège, composée de nous-mêmes et d'autre chose ; et le dormeur, pas tout à fait voyant, pas tout à fait inconscient, entrevoit ces animalités étranges, ces végétations extraordinaires, ces lividités terribles ou souriantes, ces larves, ces masques, ces figures, ces hydres, ces confusions, ce clair de lune sans lune, ces obscures décompositions du prodige, ces croissances et ces décroissances dans une épaisseur trouble, ces flottaisons de formes dans les ténèbres, tout ce mystère que nous appelons le songe et qui n'est autre chose que l'approche d'une réalité invisible. Le rêve est l'aquarium de la nuit.

Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer.

vendredi 6 avril 2012

Comme le temps passe


Ce blog a un an.

Quoique suspects et sans nul doute critiquables, retenons les chiffres officiels : la Troisième Chambre aurait accueilli, à ce jour, près de 4800 visites.

J'en profite pour adresser, en même temps que mes salutations, mes remerciements à ceux de mes voisins virtuels en cinéphilie qui, outre les plaisirs pris à leur lecture régulière et à nos échanges occasionnels, m'ont fait l'amabilité de me "lier", et m'envoient, je dois le dire, une bonne partie de mes visiteurs. 

Cela étant, la note le plus consultée, et de loin, reste la première de la série "La Porte !", consacrée à Jean-Claude Brisseau, qui me vaut, de façon assez constante au fil des mois, de recevoir massivement en ces lieux les admirateurs des beautés dénudées de ses actrices. Ce qui incite à l'humilité quant à l'intérêt que pourraient éventuellement présenter mes petites proses... (Et devrait aussi, accessoirement, m'inciter à écrire un peu plus, un de ces jours, sur celui que je tiens pour l'un des réalisateurs français les plus intéressants qui soient.) –

Partie atelier personnel, partie cabinet de curiosités, la Chambre en tout cas fut acquise presque sur un coup de tête ("recours en grâce insensé à la chance" signé sans même qu'il y eût besoin des conseils d'un ami "amateur de Balzac, d'histoire de la chouannerie et aussi de romans noirs"), et je ne saurais plus dire sans mentir à quel point son projet alors était bien défini. Mais son aménagement intérieur, pour ainsi dire, s'est très vite imposé de lui-même, tant dans la forme que dans le fond, autour de quelques obsessions privilégiées, et de quelques refus.

Seule la série des "Éloges", conçues d'abord comme un moyen de contourner la forme fragmentaire pour développer en plusieurs temps des exercices d'admiration, s'est avérée plus encombrante qu'utile : aussi les deux seuls textes publiés sous cette appellation ont-ils été renommés et "recatégorisés".

À ce petit bilan intérieur, j'avais pensé adjoindre un second, hors les murs : différentes raisons ayant empêché que je me livre, en fin d'année civile, aux joies communautaires du classement des meilleurs films, meilleurs disques, etc., de 2011, peut-être allais-je me rattraper en ce début d'avril pour jeter mon regard sur les sorties survenues durant la première année de la Troisième Chambre. Foin de suspense : il n'en sera rien, ce petit pas de côté temporel réglant peu de problèmes, et en suscitant d'autres. Tant pis, ou tant mieux, je ne sais.

Et sans plus de cérémonies, donc : Bienvenue en l'an II.