jeudi 28 novembre 2013

Vision automnale

La voiture qui démarre
chargée de feuilles mortes
d'un arrêt prolongé
charrette renversant
les signes de l'automne
sur la route épuisée

mercredi 6 novembre 2013

Un écrivain de la Frontière

I saw the world I had walked since my birth and
I understood how fragile it was, than the reality I knew
was a thin layer of icing on a great dark birthday cake
writhing with grubs and nightmares and hunger. [...]
I saw there were patterns and gates and paths beyond the real.


Que la réalité des romans de Neil Gaiman (ou si le terme de réalité s'avère trop problématique, disons le monde quotidien, ou encore, dunsaniesquement, celui de "nos contrées familières") soit comme dotée d'une sorte de doublure, où rôdent monstres et dieux, démons et merveilles : le fait, objectera-t-on, n'est pas extraordinaire dans le domaine des "littératures de l'imaginaire". Tout comme le personnage de son dernier roman, sorti cet été, The Ocean at the End of the Lane (personnage avec qui il partage plus d'un point commun, roman où il dévoile son intimité comme rarement), Gaiman a, certes, dévoré les volumes du Narnia de C.S. Lewis reçus pour ses sept ans... Reste que si la matière est commune, la manière est plus singulière. C'est que, de l'armoire magique au quai 9 ¾, le passage de l'ici à l'ailleurs est souvent étroitement balisé : "l'autre monde" nous est caché, le transit réglementé. Mais les choses se présentent rarement ainsi chez Gaiman, et les exceptions, de surcroît, semblent d'abord tenir à des références extérieures : le Mur qui sépare le village du début de Stardust du pays des fées est un hommage manifeste au bijou de lord Dunsany (justement), The King of Elfland's Daughter ; le passage qu'emprunte Coraline rappelle évidemment les pérégrinations de l'Alice de Lewis Carroll. Bien plus souvent, la séparation entre quotidien et surnaturel est poreuse, perméable. L'ange Aziraphale et le démon Crowley se sont tant accoutumés à fréquenter l'humanité qu'ils en viennent à prendre son parti (Good Omens) ; Richard Mayhew vient en aide à une jeune femme croisée dans la rue, et se retrouve du jour au lendemain banni de la société ordinaire, et projeté dans l'invisible cour des miracles de London Below (Neverwhere) ; Shadow n'a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive que son entourage se met à se composer exclusivement d'anciens dieux en exil, survivant par les moyens du bord dans un pays où nul ne croit plus en eux (American Gods), tandis que le jeune Nobody Owens, élevé par des fantômes, circule librement entre le monde des vivants et celui des morts (The Graveyard Book). The Ocean at the End of the Lane ne déroge pas à la règle et y apporte même une touche supplémentaire par le choix du point de vue, ou plutôt des points de vue adoptés. Le narrateur, retour d'un enterrement familial, y revient sur les lieux de son enfance – et d'étranges évènements dont il avait, curieusement, jusque-là tout oublié. Avec une maestria qui ne se donne pas l'air d'y toucher, Gaiman entremêle dès lors en permanence la perception du narrateur adulte (qui, s'il n'est pas à strictement parler un autoportrait de l'auteur, l'évoque tout de même par bien des points) et de l'enfant qu'il a été – chacun des deux étant susceptible de comprendre des choses que l'autre ne comprend pas encore, ou ne comprend plus. Ce double éclairage projette au moins autant, si ce n'est davantage, de zones d'ombres que de lumières révélatrices. L'idée d'une compréhension totale n'est qu'une possibilité éphémère et vouée à l'oubli. Surtout, aucune option n'est fondamentalement plus rassurante que l'autre. Le monde "normal" des adultes peut sembler à l'enfant aussi irrationnel et menaçant que le monde fantastique. Que la nouvelle baby-sitter soit une incompréhensible créature d'un autre monde, régi par des règles mystérieuses, ou qu'il s'agisse d'une simple séductrice dont l'emprise sur le père de famille bouleverse jusqu'à la violence le comportement de celui-ci envers sa progéniture, sont deux possibilités fondamentalement tout aussi terrifiantes. La porosité générale et indécise des mondes, des logiques, des points de vue exclue l'existence de postes-frontières contingentés, et, par là même, que Gaiman ait à nous livrer toutes ses clésce dont on ne se plaindra pas quand il fait de tout lieu et de tout moment une occasion potentielle de merveilleuse découverte ou d'inquiétante invasion.