mardi 27 septembre 2011

L'agent de liaison



Dans Secret Agent (stupidement "traduit" en français sous le titre de Quatre de l'espionnage), le personnage interprété par Madeleine Carroll assure le lien avec le spectateur en même temps qu'elle l'incarne à l'intérieur même du film (en termes picturaux, on la qualifierait d'embrayeur). À travers elle, c'est nous qui nous faisons remettre en place, lors de la scène du casino, sur nos envies d'excitation et d'aventure par procuration, et sur les bien plus sordides réalités du monde de l'espionnage. Leçon mieux gardée par qui la reçoit que par qui la donne. Tandis que les hommes continuent, malgré tout, leurs tours, sous le regard brutalement désenchanté d'une femme ces réalités envahissent l'écran meurtre de sang-froid sur commande, petit monnayage des informateurs, simulacre généralisé des sentiments, arrangements avec la conscience (ou l'absence de conscience : le faux Mexicain de Peter Lorre, avec ses séances de drague entre deux assassinats, a tout d'une sinistre parodie de James Bond avant la lettre). Rompant brutalement avec le début façon screwball comedy, tournant le dos aussi, plus largement, au romanesque des 39 Steps de l'année précédente, le ton se fait pesant, de plus en plus oppressant, jusqu'au final apocalyptique. Et Hitchcock de se livrer à une auscultation clinique et sèche de l'univers des services secrets qui demeure, trois quarts de siècle après, assez rarement égalée. Le public n'apprécia que modérément ; et la critique, aujourd'hui encore, ne semble pas faire grand cas du film qui demeure parmi les moins estimées de son auteur. On ne déchire pas impunément un mythe en formation ; fût-ce en utilisant comme lame un regard de femme.

mardi 13 septembre 2011

Laura au bûcher (mouvement de requiem)


Âme es-tu feu ?

Dans le réveil brillant du matin
Le poids de la terre t'étouffe.

Jeune flamme dardée vertement
Au fier combat contre la matière
La chair est lasse lourde.

Sommeil trop subtil ennemi
Qui lie des membres lâches.

Tant de massives chaînes
Nourritures mets mortels
Viandes de bêtes mortes.

Raisin corrompu
Vin.

L'être repu
Pierre dans un désert de pierres.

Soumise au goût de la chute
Toujours t'abaisseras-tu
Morne monticule cailloutis sable poussière froide ?

Ou d'être délivrée songes-tu
D'être cendre légère au souffle de midi
D'être pollen au vent du jour ?

Et trouveras-tu le volcan où te jeter
Afin d'y être transmuée ?


André Pieyre de Mandiargues, L'Âge de craie, "Le degré de feu". David Lynch, Twin Peaks: Fire Walk With Me.

mercredi 7 septembre 2011

Capturer l'instant

She used to look at me... this way, like really look... and I just knew
that I was here... that I existed. Joe Lamb (Joel Courtney) 


Capturer l'instant, tel pourrait être le mot d'ordre d'une partie du moins (la plus intéressante) de Super 8. Saisir, seul au milieu de tous, l'émotion qui se dégage de mots prononcés lors d'une répétition. Se trouver au bon endroit pour assister à l'envolée de la seule porte signifiante au milieu du grand carambolage. Ne pas être celui qui tourne le dos à l'évènement, perdu dans l'écoute d'un walkman ou un sommeil sous produits chimiques. Inscrire dans le regard ou (/et) sur pellicule les instants mémorables, pour les conserver après leur fuite, l'apparition d'un monstre ou le sourire d'une mère. Est-ce une coïncidence si cette thématique s'insère dans un film qui lui-même tente de reconstituer à toute force, de replacer devant nos yeux, un passé révolu, le tout début des années 80 et, sur les écrans, les premiers succès des productions Amblin ? (Et qui dispose, au milieu de ce spectacle, la menace d'un créature précisément invisible. Le monstre serait-il précisément celui qui vient perturber la logique de la monstration ?...) Las ! toutes ces belles choses n'ont qu'un temps. La spécialité de J.J. Abrams en tant que créateur de séries semble surtout résider dans l'émission d'idées étonnantes avec lesquelles son équipe de scénaristes devra ensuite se débrouiller – en quoi d'ailleurs le plaisir de suivre Alias, Lost ou Fringe finit toujours par s'apparenter à la fascination qu'on éprouverait à suivre la course d'un canard sans tête marathonien –, et il ne gagne rien à se retrouver astreint aux limites du format "long-métrage". En l'espèce, la deuxième heure de Super 8 s'enterre poussivement dans les clichés et les facilités, les raccourcis foireux et le grotesque involontaire, tentant de mettre sur le compte de l'hommage ce qui ressortirait presque de la parodie. Mais peut-être faut-il retenir et appliquer au film les leçons de sa première partie : et par-delà la débâcle, conserver le souvenir de quelques fugaces instants de grâce...