lundi 27 mai 2013

Le fantôme de Huck Finn


En dépit de toute logique et de toute rationalité, même si je sais bien que rien dans le film n'invite réellement, explicitement, à un tel rapprochement, je ne peux m'ajouter de compte des charmes, intérêts et beautés de Mud de Jeff Nichols, le fait que le personnage-titre, venu de nulle part et qui y retournera de la même manière, ce fugitif criminel au grand cœur caché sur une île du Mississippi, m'évoque irrésistiblement un Huckleberry Finn qui aurait grandi, vieilli, et traversé les âges jusqu'à nous...

samedi 18 mai 2013

The Grandmaster en ses éclats


Le kung-fu, c'est deux mots : vertical, horizontal. Outre une orientation marquée, mais assez peu surprenante, vers le formalisme (en l'espèce, l'attention à l'apparence des idéogrammes plutôt qu'à leur sens), cette définition toute personnelle qui ouvre et clôt The Grandmaster (Yî Dài Zông Shî) de Wong Kar-wai attire l'attention sur une division, un antagonisme, ce qui ne détonne pas dans un film qu'on dira, au choix, tout entier parcouru ou prisonnier de jeux d'opposition. Esthétisation contre lisibilité, tout d'abord : ce qui apparaît clairement (si l'on peut dire) dans la scène d'ouverture, séquence de combat de rue sous la pluie aussi admirable et impressionnante... que foncièrement incompréhensible, tant dans ses enjeux que dans le détail de son déroulement. Un peu plus tard pourtant, le film semble s'engager dans une toute autre voie, dans une présentation résolument didactique des différentes techniques de kung-fu. Une autre opposition se dessine, dans le scénario comme dans la mise en scène : ce sera transmission contre affrontement. Sur la forme, on pourrait pointer un troisième binôme, mais qui n'est au fond qu'une variante des précédents, picturalité / chaos. Valse-hésitation perpétuelle entre une volonté explicative et pédagogique, et une réticence à se compromettre dans le "genre", qui, à force de ruptures, marque aussi une des limites du film. Sur le fond, on retrouvera ce même éclatement impossible à tenir dans le dilemme qui agite le grand maître Gong Baosen, qui ne peut transmettre son héritage d'unification des écoles de kung-fu sans que cela ne passe par une compétition qui va exactement à l'encontre de ce projet ; on remarquera que la première partie du film repose sur une division du pays entre Nord et Sud, division qui ne sera abolie par la suite que par la naissance d'une nouvelle frontière, entre Hong Kong, où se retrouvent relégués les personnages, et le reste de la Chine ; et que la "succession" de la famille Gong se retrouve elle-même divisée entre deux personnes en conflit, Ma San et Gong Er. On pense un moment, dans les dernières scènes (en particulier la belle dernière entrevue entre Ip Man et Gong Er, quand celle-ci lui annonce vouloir "boucler le cycle"), tenir la clé qui permettrait d'unifier le film par-delà toute les failles qui le constituent (aussi paradoxale que soit une telle formulation). Mais l'unité se dérobe encore une fois, et l'on repense au petit gâteau d'une des principales scènes de la première partie du film, enjeu d'une double injonction contradictoire. Pour prouver qu'il est à la hauteur technique de Baosen, Ip Man doit parvenir à s'emparer du gâteau dans la main du maître et à le briser ; pour prouver qu'il est à la hauteur de son legs spirituel, il doit en revanche laisser le gâteau intact, ayant été précisé que le gâteau symbolise la Chine. Tout The Grandmaster, en somme, est à l'image de ce petit gâteau et de cet enjeu qui rend impossible une réussite franche. Ce qui, par ailleurs, n'exclue par des moments de grâce, Gong Er et Ip Man n'étant finalement jamais aussi près de l'union des corps et des cœurs que lorsqu'ils s'affrontent.

vendredi 10 mai 2013

In memoriam Ray Harryhausen


Ray Harryhausen – 1920-2013. 
Père des Monstres et Prince de l'Imaginaire.

Parmi la pléthorique collection d'effets visuels et le riche bestiaire fantastique légués par ce maître en la matière, ma mémoire se retourne naturellement vers les quelques films où il put officier en tant que producteur associé et exprimer tout son talent, en particulier ces gemmes que sont les deux voyages de Sinbad, Jason and the Argonauts et le testamentaire Clash of the Titans – films passés grâce à lui directement du domaine des visions en boucle de l'enfance à celui des références cinéphiles, sans jamais cesser de provoquer l'émerveillement.
 
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lundi 6 mai 2013

Vision matinale quasi haïku

Par la fenêtre près du lit, deux oiseaux passent la ligne droite laissée sur l'azur par l'avion.

mercredi 1 mai 2013

De la "valeur travail"


Or voici précisément venir le temps de la grande résignation humaine. Le travail-dieu trouve à son tour des prêtres. La paresse est punie de mort. À l'Orient mystique, on institue le culte des machines. Les madones d'aujourd'hui sont des moto-batteuses. À l'horizon, dans les panaches laborieux des cités ouvrières, le miracle banni s'en va en fumée. Personne ne laissera plus à personne une chance unique de salut. Elle sonne, l'heure du grand contrôle universel. Qu'ils agonisent, ceux qui n'ont pas perdu la mémoire du Paradis, qu'ils agonisent donc ce soir quand les déments feront retentir les asiles de cette vaine clameur qui veut retenir le soleil. Je vois grandir autour de moi des enfants qui me méprisent. Ils connaissent déjà le prix d'une automobile. Ils ne jouent jamais aux voleurs.

Louis Aragon, La Défense de l'Infini.