vendredi 12 juillet 2013

Retour à l'Auberge du dragon


Il est une scène dans Lóng Mén Fēi Jiǎ (The Flying Swords of Dragon Gate ou encore, chez nous, Dragon Gate: la légende des sabres volants) où deux des personnages, se tenant l'un l'autre par une chaîne métallique, s'affrontent dans un duel au sabre, dans les airs, au milieu du tourbillon d'une tornade qui les emporte, et des débris qu'elle charrie. Des effets spéciaux numériques dérisoires et assez mal troussés (c'est le côté "Terry Gilliam oriental" de Tsui Hark...) ajoutent encore au caractère totalement irréaliste de la chose, tout cela pourrait n'être que ridicule, et pourtant : cette séquence se révèle infiniment plus inventive, infiniment mieux conçue, et, in fine, infiniment plus jouissive, que n'importe quelle scène équivalente du récent et maladroit Man of Steel du tâcheron Zack Snyder. Conçu pour la projection en 3D sur grand écran, le dernier film du maître de Hong Kong est arrivé chez nous directement en DVD sans passer par les salles obscures, et il n'est pas évident de juger pleinement de la réussite esthétique du projet via un écran plat de télévision. S'il est certain que le réalisateur y affiche un goût pour les effets les plus (littéralement) "tape à l'œil" que permet cette technique, la possibilité d'une certaine grâce fascinante – dont le support ne nous offrirait, hélas, que l'ombre – se laisse néanmoins plus d'une fois deviner. Il est également certain que dans la filmographie de Tsui Hark, ce dernier opus en date est plus à situer dans la veine fantaisiste des Zu que du côté de ses autres tentatives passées d'approche plus "réaliste" du wuxiapian, parmi lesquelles (abstraction faite d'une fin virant déjà au grand-guignolesque) le superbe remake de 92 du classique de King Hu dont cette "légende des sabres volants" se présente comme le vrai/faux nouveau remake ou la vraie/fausse suite, la chose n'est pas très claire. De cette source première on ne retrouvera guère que l'idée d'une auberge pleine de chausses-trappes en bordure de territoire barbare, qu'une flûte laissée en gage d'amour et que le nom d'un héros dressé contre les manigances d'une police secrète impériale aussi cruelle que corrompue – mais tout cela, qui constituait la trame des "précédents" films, à présent mêlé à une débauche d'autres fils narratifs, qui rend d'ailleurs le récit à peu près impossible à suivre à la première vision : on y trouvera donc également une rivalité entre "bureaux" malfaisants, une courtisane enceinte et en fuite, un sosie de haut dignitaire, ou encore, last but not least, une chasse au trésor recelé par les ruines d'une cité ensevelie sous le sable, qu'une gigantesque tempête ne découvre qu'une fois par siècle et pour quelques minutes seulement... Ce que l'on retrouve aussi, et, peut-être, surtout, c'est l'inspiration serial (voire un tantinet pulp) qui présidait dans le précédent opus de Tsui Hark, Detective Dee, à ceci près que cet aspect faisait alors l'objet d'une certaine "maîtrise" qui n'est, cette fois, plus du tout de mise. Toute bride lâchée, se déploie alors un grand spectacle décomplexé, dont le sérieux de façade s'écaille régulièrement pour révéler une dimension en fait très drôle (que vient "signer" la  dernière saynète, clôturant le film sur une note de comique macabre des plus réjouissants). Lóng Mén Fēi Jiǎ n'est rien moins qu'une sorte d'Indiana Jones puissance 10 à la sauce chinoise. Mi-pastiche, mi-parodie, ironique sans mépris. Un de ces rares films qu'il convient de recevoir simultanément au premier degré et au deuxième (ou au troisième... ou plus...) et s'avère réussi sur chacun des plans. Fondamentalement et inextricablement nanardesque et génial.