dimanche 14 avril 2013

Un chant d'amour qui se perd


Il se confirme qu'il va être désormais de plus en plus difficile de parler des films de Terrence Malick, alors même qu'avec To the Wonder il aura peut-être rarement autant suscité d'idées préconçues. Parce que le Texan n'aura jamais été si vite en besogne pour sortir un film après le précédent, parce que, aussi, cela advient à un moment de son parcours où l'on se demande bien ce qu'il peut encore nous réserver question esthétique. Film mineur ? Film de trop ? Avant d'entrer dans la salle j'aurais pu prendre les paris sur le nombre de critiques parlant d'un cinéaste désormais enfermé dans ses tics... Eh bien non. S'il décline des figures désormais familières, c'est toujours au service d'un nouveau projet. À ce titre, To the Wonder est sans doute son film le plus intimiste, et peut-être aussi le plus pessimiste. Tout entier centré sur une poignée de personnages, il ne leur offre pour ainsi dire aucun arrière-plan. Malick, dans un premier temps, ne filme qu'un couple et une enfant ; il les filme presque comme s'il n'existait rien d'autre qu'eux, ou plus exactement comme si le monde aperçu alentour, dans leur proximité immédiate, n'existait que pour eux, dans un jeu de reflets symboliques permanent, communiant dans le même chant d'amour ; Malick l'heideggerien filme leur être-au-monde, avec une sorte de force de naïveté, qui rappelle étonnement le Murnau de Sunrise et de City Girl, exprimé dans une grammaire cinématographique nouvelle. Voilà donc des personnages qui auraient tout pour être heureux, et leur échec ne sera que de leur faute propre, sans fond social pesant ou circonstance historique atténuante, sans non plus de consolation mystique – n'en déplaise à ceux qui se gaussent encore des dinosaures de The Tree of Life, et sont trop contents de trouver dans la présence d'un personnage de prêtre, interprété par Javier Bardem, l'occasion d'aller apposer sur l'œuvre de Malick une étiquette de religieux illuminé et/ou catéchisant sans aller chercher plus loin ; sans prendre garde que ce prêtre en perte de foi, attendant vainement un signe divin, débite ses homélies sur un ton monocorde, vidé de toute passion, n'ayant guère l'air d'y croire, et qu'il semble donc quelque peu périlleux de voir en lui un porte-parole du réalisateur ; sans se demander, au risque d'extrapoler, si, peut-être, même, ce prêtre en débâcle spirituelle ne porte pas quelque responsabilité dans la faillite du couple central, faute, aussi perdu que ses ouailles, d'habiter et de pouvoir donc porter avec conviction un discours salutaire (ainsi une référence à la parabole de la réconciliation avec la femme adultère menée au désert, dans le livre d'Osée, est-elle introduite mais ne sera pas suivie d'effet, ne parviendra jamais à s'incarner dans le film). Quant aux fameux monologues intérieurs malickiens, ils ont pour la première fois des allures de piège, lyrisme nombriliste, moins révélateur que coupé de l'autre, où s'enferment des personnages qu'en contrepoint on voit rarement se parler, et presque jamais dialoguer – sentiment que vient encore accentuer la répartition de ces voix off en trois langues distinctes, français, anglais, espagnol. Ainsi le chant d'amour se perd-il et s'achève dans le délitement, toute harmonie rompue... Et pourtant : c'est bien la sensation de sa force que nous retiendrons malgré tout, l'emportant par-delà la rupture finale.