mardi 11 mars 2014

Tenter de vivre


Kaze tachinu Le Vent se lève , dernier et potentiellement ultime film de Miyazaki, commence par une séquence de rêve qui fait immanquablement penser à une sorte de récapitulatif de la carrière du senseï : goût pour les machines volantes plus ou moins farfelues, reprise quasi plan pour plan de scènes et de cadrages évoquant Porco Rosso (Kurenai no buta) ou Le Château ambulant (Hauru no ugoku shiro)... Et ce rêve s'achève par un crash. La majorité des – nombreuses autres séquences oniriques qui suivront obéiront d'ailleurs à cette même structure. Autant qu'un biopic librement inspiré de la vie de Jirō Horikoshi, concepteur des chasseurs Zero, le testament cinématographique de Miyazaki sera donc une manière d'autoportrait teinté de sombre. C'est que Jirō est tout à la fois visionnaire et myope. Sur un toit avec sa petite sœur, il ne voit pas, à travers ses grosses lunettes rondes, ce qu'elle lui montre (une pluie d'étoiles filantes), mais "voit" en revanche ce qu'elle, de son côté, ne saurait voir (les escadrilles d'avions italiens dont il rêve). Cette dichotomie sera relayée durant tout le film. Génie de l'aéronautique, le Jirō Horikoshi de Miyazaki évolue dans un univers balisé, entre enfermement dans un monde de rêves de gosse et quête obsessionnelle de perfection, mais passe comme sans les voir à côté du contexte de ses actions – un Japon en pleine crise sociale, économique, sanitaire et politique, et plus largement une situation internationale au bord de l'explosion – comme de leurs conséquences, aussi bien sur le plan historique que sur le plan personnel, intime gâchant ses relations avec sa famille d'abord, avec son épouse ensuite : la sacrifiée Nahoko. Si cette dernière s'inspire d'un personnage de roman de Tatsuo Hori, le traitement de sa relation avec Jirō semble renvoyer aussi bien à la tradition cinématographique nippone en matière de mélodrame, qu'aux relations de Miyazaki lui-même avec son fils Gorō, passées à la notoriété publique (ou tout du moins cinéphilique) depuis l'accession de ce dernier à la réalisation, et un symbolique autant que transparent "meurtre du père"... Ainsi l'admirable dédication à sa "voie" (celle de l'ingénieur qui ne veut que construire le meilleur et le plus bel avion possible, comme celle de l'artiste), sans être totalement condamnée, se mêle-t-elle d'égoïsme trouble et d'aveuglement coupable. Et le rêve de se refermer comme un piège auquel le personnage – comme le réalisateur lui-même ? – n'échappera pas même dans les derniers instants du film, passant outre, une fois de plus, un ultime appel à la vie véritable ; laissant derrière lui, comme un dommage collatéral finalement secondaire, un paysage quasi post-apocalyptique évoquant, vingt ans après, le fondateur Nausicaä, définition liminale de tout ce contre quoi Miyazaki allait lutter dans son œuvre, devenue le terme métaphorique du parcours sous un regard âpre et largement désenchanté.