mardi 31 décembre 2013

Au bal, #2

 
La Troisième Chambre vous souhaite
une bonne année 2014
pleine de rêves et de troublantes visions...

jeudi 5 décembre 2013

Ouvre les yeux


Le Rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l'œuvre de l'existence. C'est un souterrain vague qui s'éclaire peu à peu, et où se dégagent de l'ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres : le monde des Esprits s'ouvre pour nous.

Gérard de Nerval, Aurélia. Dario Argento, Phenomena.

lundi 2 décembre 2013

Le sourire de la sorcière


Est-ce parce qu'on a beaucoup glosé sur le sourire final, entr'aperçu, de Suzy Banyon / Jessica Harper, dans les derniers instants de Suspiria, qu'Argento remet le couvert dix ans plus tard, comme une signature, à la fin de Phenomena ? De fait, ceux qu'on pourrait appeler ses deux "films de pensionnat féminin" entretiennent tellement de rapports qu'alors que le premier s'était imposé de par sa façon résolument neuve de raconter de vieilles histoires, le second donnerait plutôt l'impression d'être en pays de connaissance ; au risque même que les effets de reprise occultent quelque peu ceux de variation. Mise en scène du film présent et souvenirs plus ou moins conscients du film passé tendent donc à se conjuguer à la vision de Phenomena pour, notamment, ne laisser planer aucun doute sur la répartition des forces en présence. Dans les deux cas, une jeune héroïne toute de blanc et de probité vêtue débarque d'Amérique dans la vieille Europe et intègre un environnement fondamentalement hostile. Les pensionnaires qui sympathisent avec la candide ou prennent son parti allongent inévitablement la liste des victimes des morts mystérieuses en série. Ajoutons que n'importe qui ou presque donnerait le Bon Dieu sans confession au joli minois de Jennifer (Connelly comme Corvino), et l'on comprendra que, dans un tel contexte, même les curieuses crises de somnambulisme du personnage et ses bizarres pouvoirs de communication avec les insectes ne jettent pas l'ombre d'un doute sur son caractère positif. Même lorsqu'une des représentantes de l'institution honnie (mais cette position suffit à invalider immédiatement pour nous son discours) rappelle l'étymologie du nom de Belzébuth, et qualifie la jeune femme de "Maîtresse des Mouches". Même lorsqu'elle finit le film en la seule compagnie d'un singe armé d'un rasoir qui, tout charmant et sympathique qu'il soit, n'en est pas moins un double évident de l'orang-outang meurtrier de la rue Morgue de Poe. À y regarder de près néanmoins, la scène de l'affrontement sur la barque avec son déchaînement de sombres nuées appelées par l'héroïne n'évoque pas tant l'habituel face à face dramatique du tueur et de la victime potentielle, qu'une autre figure de style bien connue du genre : celle du duel de monstres. Et le sourire affiché par Jennifer alors qu'elle nage pour rejoindre le rivage, après s'être assurée qu'elle est bien parvenue à se débarrasser d'un adversaire qui, si difforme et agressif qu'il fût, n'en était pas moins un enfant, ne semble pas celui de l'innocente survivante. C'est un sourire confiant, conquérant, victorieux. Ce sourire, c'est celui de la sorcière qui s'éloigne de son bûcher.