mercredi 19 février 2014

Metropolis Now


"Le futur est nécessairement inhumain, reprit-il, tout ce que vous voyez là sera un jour remplacé par quelque chose de plus solide. Nous sommes les artisans d'une ère nouvelle, nous, les ingénieurs, qui tordons le fer de l'Histoire. Les autres ne font que suivre. Leurs idées sont un vernis peint sur les structures que nous bâtissons."

Robert Alexis, Flowerbone.

mardi 4 février 2014

Shakespeare, romance et paparazzi


Il y a d'abord l'indéniable capital sympathie à voir Joss Whedon, entre un blockbuster super-héroïque classé troisième plus gros succès de l'histoire du cinéma et la supervision de ses suites sur grand et petit écrans, s'offrir, en guise de récréation, deux semaines de tournage à micro-budget dans sa propre villa, avec des membres réguliers de sa "famille" grandissante de projet en projet (séries télé ou autres) depuis plus de quinze ans, une comédie de Shakespeare, nommément la délicieuse Much Ado About Nothing. Les choses, heureusement, ne s'arrêtent pas là : au-delà de la fraîcheur du projet, c'est plus encore sa réussite qu'il convient de saluer. Réussite esthétique d'un noir et blanc classieux, tour à tour en légèreté lumineuse ou en noirceur funèbre. Réussite d'un véritable "esprit de troupe" qui anime les acteurs, sans pour autant que leurs précédentes participations au whedonverse, si elles peuvent titiller en filigrane l'esprit des fans de longue date (comment ne pas penser, par exemple, au couple tragique Wesley / Fred devant les retrouvailles d'Alexis Denisoff et Amy Acker ?), s'avèrent jamais écrasantes pour le film. Réussite surtout d'une adaptation intelligente et pensée en termes proprement cinématographiques. À ce titre, on peut relever deux choses que Whedon apporte à la pièce originale, et qu'il pose dès les premières scènes du film. Sous forme d'une scène muette, la première consiste à établir que Beatrice et Benedict ont, par le passé, été amants. Cette "transgression" qui force un peu le texte de Shakespeare n'a rien en soi de bien révolutionnaire, des plus académiques que Whedon en ont usé ailleurs. Elle s'avère intéressante, non pas tant parce qu'elle "moderniserait" les personnages, qu'en ce qu'elle insuffle à leur dynamique : ces deux-là sont moins les tenants d'une position intellectualiste sur le mariage, trop raisonneurs pour leur propre bien, que les prisonniers d'une peur qui s'exprime par ce biais : celle d'être blessés, qui préfèrent porter le premier coup que de le recevoir, renier leurs attentes plutôt que de risquer la déception.




Le second, et peut-être plus important, apport du film est lié à l'importance de l'image, et notamment de l'image trompeuse, dans la pièce, de la facilité avec laquelle peuvent être manipulées nos représentations des autres mais aussi celles que nous nous faisons de nous-mêmes en conséquence. Beatrice et Benedict s'avouent (et d'abord à eux-mêmes) les sentiments qu'ils se portent à partir du moment où on leur fait penser qu'ils sont partagés par l'autre, tandis que le mariage de Claudio et Hero est menacé par la mise en scène de Borachio et Margaret, visant à faire passer la jeune fiancée pour infidèle et dépravée. Whedon oriente son attention vers cet aspect, d'abord en ajoutant un personnage (également muet, forcément), celui d'une photographe, sans doute journaliste, qui apparaît dès l'une des premières scènes et "immortalise" une réconciliation qui se révèlera bien vite factice entre Don John et Don Pedro, et qu'on recroisera régulièrement par la suite, jusqu'aux derniers instants du film où on discerne encore son ombre passer parmi les fêtards ; mais aussi par sa façon, à plusieurs reprises, de filmer non pas directement les personnages, mais leurs reflets dans des miroirs, où ceux-ci semblent perpétuellement chercher à se composer, ou se recomposer, une identité, comme pour tourner le dos au réel, ses difficultés et ses souffrances. Élégant vertige de l'image dans l'image : quand l'une et l'autre sont fausses, ce vertige qui les unit demeure, lui, vérité.