lundi 22 décembre 2014

Peau de chagrin


La première heure d'Under the Skin, boucle répétitive oscillant entre versant ultra-réaliste (les déambulations de l'héroïne dans l'Écosse de 2014) et moments ultra-stylisés (l'étrange lieu abstrait où elle attire ses victimes), offre comme une métaphore possible de la séduction, soit l'accumulation des formules tristement banales, la misère de la "drague", qu'il est facile de railler chez les autres mais auquel tout un chacun est bien forcé de recourir, dans l'espoir de parvenir deuxième temps de l'oscillation à l'étape supérieure, la fulguration sentimentale et/ou sexuelle... quand bien même elle se peut se révéler déceptive, et s'établit, en l'espèce, sous la domination de la femme fatale, la belle dame sans merci, qui se refuse et conduit à la mort. Mais tout cela est-il volontaire de la part de Jonathan Glazer, ou pure élucubration de ma part ? Il y a de quoi fortement douter de la première option. Le fait est qu'on peut projeter un peu ce qu'on veut sur son film ne serait-ce que pour passer le temps entre deux moments de la grande "expérience sensorielle" promise, mais aussi dépourvue de propos que de cohérence au niveau du scénario. Suite à une rencontre avec une victime frappée de difformité, qui, peut-être, éveille sa pitié ou la renvoie à son propre statut de "monstre", le personnage interprété par Scarlett Johansson non seulement rompt avec son modus operandi dans la deuxième partie du film, mais devient brusquement mutique ; elle expérimente son statut d'alien (découvrant avec plus ou moins de circonspection ou de dégoût la nourriture des terriens, leurs programmes de télévision et la réalité du sexe), et s'installe en couple avec un improbable chevalier servant, bien trop désintéressé pour être crédible avant, dans un final franchement douteux, que l'humanité ne soit délivrée de la menace qu'elle représente par l'intervention providentielle d'un violeur, qui après l'avoir agressée, brûlera vive, littéralement, l'allumeuse... Les douaniers ne faisant pas nécessairement les meilleurs contrebandiers, Under the Skin pèche, en somme, par là où pèchent tous les films qui prétendent s'acoquiner avec le cinéma "de genre" sans en jouer le jeu, sans s'y salir les mains. Ici, Glazer prend le prétexte d'une intrigue de série Z (la prédatrice extra-terrestre chassant l'homme, délestant au passage quasiment tout ce qui pouvait faire l'intérêt du livre original de Michel Faber dont il ne garde guère que le prétexte de départ, et encore...) pour se livrer avant tout à un numéro hyper-formaliste, jouant les Tarkovski au petit pied, mâtiné d'une touche lynchienne et de quelques clins d'œil au Kubrick de 2001. Sauf qu'un Kubrick passait par les codes des genres qu'il investissait pour les transcender, là où Glazer leur tourne le dos comme pour bien prouver qu'il est un "auteur". Le résultat, en dépit de certaines images effectivement très belles et d'une relative originalité formelle, reste un objet théorique dépourvu de théorie, conceptuel sans concept, creux, en somme, comme cette surface noire lisse sur laquelle marchent les victimes de l'héroïne avant d'y être engloutis. Peut-être était-ce en fait celle-là, la véritable métaphore à y rechercher...

1 commentaire:

  1. Bon, l'actualité a fait que je n'avais pas encore pris le temps d'aller te lire. Je comprends que le film n'ait pas pu te toucher, les parti-pris de Glazer sont radicaux (je ne pense pas par contre que le cinéaste soit un poseur). Cela dit, je ne vois pas en quoi le film est incohérent, l'analyse que tu en fais (la pitié face au monstre, ...) me semble tout à fait judicieuse justement. En revanche je ne pense pas que le violeur qui la brûle "délivre l'humanité de la menace" qu'elle représente. D'abord parce qu'elle n'en plus une et c'est justement le parcours inverse qu'elle effectue, celui de la victime dans un schéma assez classique d’élévation et de chute.

    RépondreSupprimer