dimanche 9 octobre 2011

Réel maudit


Quelle est la nature de la malédiction qui pèse sur Siegfried selon Fritz Lang ? On pourra trouver l'anathème jeté par Alberich mourant à qui lui dérobe son trésor d'assez peu de poids, quelque peu prosaïque du moins comparé aux circonvolutions cosmiques des opéras de Wagner. J'incline à penser toutefois que quelque chose de plus vaste se joue à ce moment. L'erreur de Siegfried, c'est d'être allé au royaume des Nibelungen pour en revenir ensuite. C'est d'avoir pénétré ce brumeux pays des merveilles, ce territoire des rêves et de la magie – dont la représentation inspire à Lang peut-être la plus belle séquence du film, l'une des plus belles séquences de tous son diptyque , pour en retirer quelque chose et pour s'en retirer soi-même, pour retourner vers le monde des hommes, la mesquinerie de ses passions, de ses complots, de ses serments truqués, trahis ou biaisés. Siegfried mourra auprès d'une source, comme en bordure de l'autre monde, le rappelant à lui, invisible de l'autre côté du rideau de l'eau. Chez Lang la malédiction semble moins s'attacher matériellement au trésor qu'être ce qui caractérise la présence de l'extraordinaire, du fabuleux, au sein de la médiocrité du réel. Au début du second volet du diptyque, Hagen peut bien tout balancer au fond du fleuve, nulle fille du Rhin ne rôde pour récupérer l'or. La malédiction, c'est Kriemhild la morte-vivante, transfigurée, de bécasse évaporée et transparente, en déesse de la vengeance, hiératique et hallucinée au milieu des carnages. 

1 commentaire:

  1. La malédiction de Siegfried n'est-elle pas d'avoir, via une petite feuille égarée, gardé une part d'humanité ? Celle que le héros langien, souvent, perd complètement comme Kriemhilde. Ce qui, aussi, est une malédiction...

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