mercredi 29 août 2012

Apologie du genre épouvantable

Ce désir de macabre ne peut toucher, cependant, qu'une fraction étroite de la population, car elle exige, dans son expression littéraire, une certaine participation du lecteur, une certaine forme d'imagination et une capacité d'évasion bien souvent peu banale. Trop d'êtres sont insuffisamment libérés des contingences de la routine quotidienne pour répondre ainsi à de tels appels de l'inconnu et s'intéresser aux péripéties d'histoires concernant des sentiments ou des évènements d'ordre inhabituel. Les récits romanesques à base de faits concrets, vérifiables et rassurants, intéresseront toujours plus de lecteurs et occuperont toujours une première place dans les goûts de la majorité. Celle-ci ayant raison dans un sens car les évènements ordinaires, les problèmes de chaque jour occupent la plus grande part de l'expérience humaine. Mais des êtres plus sensibles seront toujours avec nous, car souvent une curieuse tendance au mystère peut envahir un coin obscur de l'âme humaine la plus rationnelle. En effet, quel est l'assemblage le plus parfait, le rationalisme, la raison, l'analyse la plus freudienne qui ne puissent supprimer totalement ce petit frisson inhérent à un coin de cheminée, un murmure, un souffle dans une forêt déserte.

Howard Phillips Lovecraft (traduction* de Bernard Da Costa), Épouvante et surnaturel en littérature.

* ... hasardeuse, hélas, vers la fin.

3 commentaires:

  1. En effet, vers la fin, le traducteur devait être très fatigué. Je me demande si la manie de mettre des négations explétives un peu partout, même là où elles n'ont rien à faire, est particulière au français, ou si elle existe dans d'autres langues?

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    1. Je crains que mes connaissances linguistiques soient trop peu étendues pour que je me risque à une réponse générale.

      Dans ce cas précis, à tout le moins, il y a eu, j'ai l'impression, volonté de "surpoétiser" un texte un peu plus sec et direct à l'origine. Ce qui aboutit malheureusement à une fâcheuse prise de pieds dans le tapis, confinant au contre-sens, sur la fin du passage ("...so that no amount of rationalisation, reform, or Freudian analysis can quite annul the thrill of the chimney-corner whisper or the lonely wood"). Dommage.

      Reste, pour revenir au fond - et même si Lovecraft plaide évidemment pour sa paroisse -, que j'aime assez ce renversement d'un certain discours dominant...

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  2. A rapprocher (et à opposer, car les deux argumentations partent dans deux directions différentes) de la Défense des Romans Terrifiants, de Chesterton, dans le recueil "Le Défenseur" (Chesterton voulant, comme il se doit, trouver une valeur morale aux penny dreadfuls).

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