samedi 7 juin 2014

Ruinisme

 
Paris, Venise, San Francisco, au XVIIIe siècle la Rome des cardinaux et de Casanova, au XVIIIe siècle aussi l'Edo des estampes et des maisons de thé, au XIXe la Vienne des valses, villes où, à certains moments du moins, il a fait bon vivre. La Rome de Casanova n'est plus dans Rome ; Tôkyô a étouffé Edo ; Paris grince ; Venise léchée par les hautes eaux s'enfonce avec un sourire. San Francisco, assise sur une faille géologique, peut s'attendre chaque jour à un désastre pareil à celui des premières années du siècle. Elle accepte avec grâce ce danger. 

Marguerite Yourcenar, Le tour de la prison, IV.


 
Ceci est l'emboîtement de la nature : les cieux contiennent la terre ; la terre, des villes ; les villes, des hommes. Et toutes sont concentriques : le centre commun à toutes est la destruction, la ruine ; cela seul est excentrique, qui n'a jamais été créé ; seul ce lieu, ou plutôt ce vêtement que nous pouvons imaginer mais non montrer, cette lumière qui est l'émanation même de la lumière de Dieu, dans laquelle les saints siégeront, avec laquelle les saints seront appareillés, cela seul ne se dirige pas vers ce centre, vers la ruine ; ce qui ne fut pas créé de rien n'est pas menacé de cette annihilation. Toutes les autres choses le sont, même les anges, mêmes nos âmes [...]

John Donne (traduction de Franck Lemonde), Méditations en temps de crise, X.

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