jeudi 12 mai 2016

Comédie de l'innocence


Le goût de Woody Allen pour ces années 30 et 40 qui l'ont vu naître et grandir est, on le sait, à double tranchant : au long de sa carrière, il en aura fait le théâtre aussi bien de quelques-uns de ses meilleurs films que de quelques-uns de ses plus mauvais. Deux ans après l'incompréhensible ratage de Magic in the Moonlight (qui avait tout, sur le papier, pour prétendre à la première catégorie, et tout, à l'écran, pour tomber dans la seconde), Café Society remet le couvert de façon heureusement beaucoup plus inspirée. S'il n'est pas exempt de quelques défauts, un scénario et une mise en scène élégants, un trio d'acteurs (Jesse Eisenberg, Kristen Stewart et Steve Carrell) à leur meilleur, une bande-son (jazz, forcément) au diapason, et une image résolument sublime due à Vittorio Storaro le directeur de la photographie, notamment, d'Apocalypse Now et de nombreux films de Bertolucci, que l'on retrouve ici en très grande forme après plusieurs années d'absence des plateaux –, qualifient à n'en pas douter cet opus comme ce qu'il est convenu d'appeler, dans la filmographie allenienne, un très bon "cru". Récit d'éducation sentimentale en même temps que d'ascension sociale entre Hollywood et Manhattan, Café Society trouve dans l'imagerie d'une époque et la fascination qu'elle exerce le matériau à cette transmutation alchimique propre au Woody des grands jours, qui nous amuse et nous enchante d'un tableau dont il ne nous cache pourtant rien du caractère amer, cynique et presque désespéré. D'un lieu de fête à l'autre, des grandioses villas de stars (avec piscine obligée) de Los Angeles au club new-yorkais où croisent et se croisent célébrités, politiciens, aristocrates et mafieux, c'est la même joyeuse facticité que l'on retrouve à l'œuvre, et prétendre à l'innocence ou à la prise de distance désabusée, à la pureté des sentiments, voire à la rectitude morale, n'est jamais qu'une posture comme une autre, peut-être pas la moins artificielle. Les anciens amants qui s'y retrouvent après des années, et s'étonnent d'abord chacun de ce que l'autre a "changé", devenant tout ce qu'il prétendait fuir ou détester, ne peuvent dès lors que découvrir qu'ils n'ont jamais que changé de masque, tout au plus, et laissé tomber avec le temps celui sur l'autel duquel ils ont sacrifié un amour désormais impossible à retisser. Allen, bien sûr, fait partie de ces gens qui s'empressent de rire de peur d'être obligé de pleurer (ce qui, dans la bouche de la mère juive du héros du film, se traduit à peu près : "Live every day like it's your last, and some day you'll be right") ; Café Society en apporte une illustration renouvelée, magnifiquement douce-amère.

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