mercredi 8 juin 2011

Éloge de Tsui Hark


Dans l'une des premières scènes de The Blade (Dao, 1995), Siu Ling, la narratrice, évoque un souvenir d'enfance : celui de son émerveillement face aux lumières chatoyantes émanant de l'atelier paternel. Aux plans qui nous montrent la jeune fille jouant avec ces lueurs, succède la brutale révélation de leur origine : reflets des lames de l'armurerie. Il n'est pas interdit d'y voir une clé pour une bonne part du cinéma de Tsui Hark. The Blade, l'un de ses films les plus sombres et violents, n'en est pas moins une œuvre esthétiquement somptueuse, menaçant en permanence d'asphyxier le spectateur sous une avalanche de beauté (barbare), de mouvements et de couleurs. À l'autre bout du spectre, en quelque sorte (et presque contemporain pourtant), The Lovers (Leung juk, 1994), peut-être son film le plus classique, affichait la beauté "évidente" d'un mélodrame comme un linceul aussi somptueux qu'élégant autour de deux cœurs déchirés. Du chaos d'une ville bombardée et en flammes formant la toile de fond de la première rencontre des amants de Shanghai Blues (Shang Hai zhi yen, 1984) au ballet érotique contrarié sur lequel s'abat une pluie de flèches dans Detective Dee (Di Renjie, 2010), en passant par la grâce virevoltante du jeune Jet Li en Wong Fei-hong ou celle, potentiellement dangereuse voire mortelle, de séductrices surnaturelles, "dames serpentes" ou "fantômes chinois", on n'en finirait pas de lister de telles ambivalences : chez Tsui Hark la beauté a sa part de violence et d'ombre, part tranchante sinon maudite, et réciproquement il n'est pas jusqu'à la violence elle-même qui ne puisse receler sa part de beauté. Aussi n'est-il pas concevable de prétendre se débarrasser de l'une (celle liée, pour le dire vite, à Thanatos) en se débarrassant de l'autre (Éros) – attitude des divers fanatiques, bouddhistes ou taoïstes, de Green Snake (Ching Se, 1993) car, là encore, les deux apparaissent intimement et indissolublement liés. Dans Zu (Suk San, 1983), grand barnum matriciel à ce titre comme à bien d'autres, par le biais des possessions et des "doubles du démon", le Bien et le Mal ont, par essence, même apparence.

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