mercredi 6 juillet 2011

Éloge des ombres

Les fantômes existent.
Il n'est pas de jour où à la faveur d'un souvenir, au gré d'un éclairage, à la surprise d'une musique, au hasard d'un rêve ou d'une rêverie, l'un d'eux ne surgisse devant nous, mieux armé que la sinistre Minerve, déesse des raisonneurs.
Ces illusions, ces erreurs, ces apparences sont aussi vraies, aussi réelles et même plus que le monde matériel auquel la civilisation européenne prétend donner vie. Nés pour nous, par la grâce de la lumière et du celluloïd, des fantômes autoritaires s'assoient à nos côtés, dans la nuit des salles de cinéma. Le film s'achève. L'électricité renaît. La vie, au sens vulgaire du mot, va-t-elle reprendre ses droits prétendus par l'usage et la loi ? Non. Le fantôme sort de la salle, au bras du spectateur, dans une ville transformée par l'imagination. Le destin suit un autre cours.
L'aventure vécue dans un film rapide et pourtant plus lent que le rêve, l'aventure se poursuit et celui qui n'était qu'un assistant perdu dans la foule et dans les ténèbres devient à son tour, au fil de ses chimères, un héros animé par l'amour et par la singulière indépendance de l'imagination. Il rentre chez lui, sa compagne idéale met la clef dans la serrure de sa porte. Il se couche et elle tire sur son lit le rideau des ténèbres. Il veut dormir. Elle lui ferme les yeux et s'allonge à côté de lui. Prodigieuse maîtresse, elle converse avec lui sans l'éveiller et l'entraîne à sa suite à travers ce beau pays des merveilles où Alice rencontre Perceval, où les fleurs parlent, où les femmes aiment terriblement dans l'étreinte fatale du succubat. S'éveille-t-il soudain, secoué par le sanglot nocturne des amours non partagées ? Elle pose sur son front sa main fraîche et calme les douleurs qui font gonfler ses tempes.
Heureux l'homme soumis à ses fantômes.

Robert Desnos, "Puissance des fantômes", 1928.

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