mardi 5 juillet 2011

L'image ouverte

One can feel that there is always a camera left
out of the picture: the one working now.
Stanley Cavell, The World Viewed, 17.


Aux policiers qui l'interrogent à propos des mystérieuses vidéos qu'il reçoit, Fred Madison indique qu'il ne possède pas de caméra, car il préfère sa propre mémoire et la singularité de ses souvenirs à la reproduction mécanique, à l'identique, des faits enregistrés ("I like to remember things my own way. [...] How I remembered them, not necessarily the way they happened."). Clé évidente pour la construction de tout Lost Highway, partageant le film entre le Réel et son Double (pour le dire en termes rossettiens) : tout ce qui concerne Pete ne serait que la construction mentale de Fred, alors que les enregistrements de l'Homme Mystérieux consigneraient et montreraient, eux, la réalité insupportable et refoulée. Clé évidente, trop évidente ? Parmi les questions qu'elle laisse en suspens (car les constructions lynchiennes ne sont jamais parfaitement closes : sur cela aussi, on reviendra), se pose, si l'on suit cette logique jusqu'au bout, celle du film que nous-mêmes, spectateurs, regardons, ou pour le dire autrement de ce que consigne et nous montre la caméra de David Lynch. Si l'outil conduit à la reproduction mécanique du réel, qu'est-ce qui nous donne accès à la psyché torturée du personnage ? De quoi est faite la pellicule qu'utilise Lynch pour capter cela ? Sinon de cette fameuse matière dont nos rêves sont faits – comme on dit chez Shakespeare, et chez John Huston... Lost Highway, ou le film noir classique déconstruit sous l’œil de Prospero.

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