dimanche 3 juin 2012

... et variations


C'est le temps de l'amour, le temps des copains et de l'aventure ; quand le temps va et vient, on ne pense à rien malgré ses blessures... C'est Françoise Hardy qui le chante et même si pour ce qui est de l'accompagnement musical, Moonrise Kingdom donne avant tout envie de se repasser en boucle The Young Person's Guide to the Orchestra et quelques autres titres de Britten, le refrain de la chanson résume relativement bien l'esprit du dernier opus de Wes Anderson, dont elle accompagne l'une des (nombreuses) très  belles scènes. Relativement, parce que passé l'évidence apparente du pitch la fugue commune de deux enfants amoureux , Moonrise Kingdom se révèle vite un défi au résumé, c'est-à-dire à la restriction. Si l'allégresse, l'euphorie, voire une certaine naïveté, sont sans doute les premiers éléments auxquels on peut penser pour caractériser le film, ils y côtoient aussi beaucoup d'autres choses, mélancolie et inquiétude. Côté formel, simplicité et richesse, de même que sur-stylisation (parfois peut-être un peu gratuite), liberté et rigueur de la construction, se mêlent pareillement. C'est que la trajectoire de Sam et Suzy n'est pas tracée dans le vide : elle vient bousculer et finalement entraîner dans son sillage toute une communauté (on saluera au passage un casting sans faille), d'abord dressée contre eux, puis massée autour d'eux. Presque autant que l'histoire des deux gamins, Moonrise Kingdom raconte celle d'un mariage qui bat de l'aile, d'une relation adultère guère plus brillante, d'un policier "lourdaud et triste", d'un chef scout pas tout à fait sûr de sa place dans le monde, etc., etc. ; mais ces histoires n'ont de sens – ne prennent sens, ne peuvent se développer – qu'au contact du jeune couple, qui leur transmet un peu de sa folle énergie cinétique et fait bouger les lignes. L'ouragan annoncé dès les premières minutes du film est finalement assez peu traité comme la menace à laquelle on pourrait s'attendre, mais plutôt comme une sorte de tempête salvatrice dont l'île (nouvelle arche de Noé ?) et ses habitants sortiront purifiés. D'autres en auraient fait un élément moralisateur, venant souligner et condamner l'inconscience d'enfants irresponsables ; Anderson en use plutôt comme d'une sorte d'image métonymique de ces enfants à moins que ce ne soit l'inverse , chamboulant sur leur passage le tracé des cartes et des habitudes. Ils semblent partager la même nature : frappé par la foudre, Sam se relève tout aussitôt indemne, tandis que c'est le Baden Powell d'opérette joué par Harvey Keitel qui en prendra pour son grade. Ce joyeux tohu-bohu ne fait certes pas, au bout du compte, une révolution ; mais une leçon de bonheur. Et si agréablement délivrée, on aurait bien tort de s'en priver.

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