mercredi 13 juin 2012

Pas de crash à Cosmopolis

C'était l'heure tranquille où les ouatures vont boire.


Cosmopolis est un film qui n'a rien à dire, mais qui déploie beaucoup de bavardage pour donner le change et tenter de faire croire qu'il discoure sur le Rien (en l'espèce, "le Rien comme corollaire du crépuscule du capitalisme", ou quelque chose du genre). Ce petit tour de passe-passe – faire passer l'absence d'objet pour le sujet – ayant plutôt bien réussi à quelques autres par le passé, on hésiterait presque à blâmer Cronenberg d'avoir essayé. D'autant que Cosmopolis peut effectivement produire une sorte de léthargie fascinée, qui en rend l'appréciation exacte assez difficile. Patterson est transparent et inexpressif, les lignes et les lignes de texte s'accumulent, leur contenu semble pensé pour être impossible à mémoriser plus de trente secondes, les face-à-face et les dialogues de sourds s'enchaînent, et sur la corde raide du formalisme stylisé, la réalisation bascule plus d'une fois dans le degré zéro du théâtre filmé. Si la psychologie du personnage central évolue entre l'inexistence et la caricature improbable, il est une chose que le spectateur peut partager, c'est son envie d'échapper à cette atmosphère raréfiée pour éprouver des pulsions plus primaires : sexe et violence. Ainsi, plus que ses interminables pontifiages théoriques, plus même que la confrontation finale avec l'assassin qui se résorbe en nouvelle séquence de verbosité, deux scènes coïtales (les dire "érotiques" serait déplacé), quoiqu'assez mal fichues et en elles-mêmes guère moins insignifiantes que le reste, semblent comme le cœur secret du film. Immanquablement alors se profile le souvenir de Crash, jambes en l'air et taule froissée. Crash était, et reste, un film qui a beaucoup à dire. Sur le cul (les voies troubles de la jouissance) et sur le culte (celui des voitures jusqu'à la pratique massive du sacrifice sanglant, la fascination pour les carambolages et pour la mort des stars). Cronenberg alors était malsain, sûrement, maladroit, parfois, mais non ennuyeux ; il se préoccupait de mise en scène, non de pur formalisme. À seize années de distance, Cosmopolis a des allures d'illustration en creux des théories de Vaughan sur le pouvoir générateur des accidents de la route ("a fertilizing rather than a destructive event"). La limousine d'Eric Packer, que nous ne quittons quasiment pas, glisse doucement dans une sorte de vide, censé vaguement évoquer un embouteillage. Quelques anarchistes pourront bien l'amocher un peu, mais certainement pas l'empêcher de rentrer au garage le soir venu. Dans l'habitacle, Packer se pense invulnérable parce qu'il est détaché de tout, mais il lui faut mendier auprès de toutes les femmes qu'il croise, ou presque, un peu d'excitation, qui le maintienne en vie, un tant soit peu, lui permette de continuer d'avancer, et de parler. L’œuvre et le personnage sont à l'image l'un de l'autre. Tous deux se voudraient les interprètes absolus d'un monde épuisé : ils n'en sont, au mieux, que les symptômes.

1 commentaire:

  1. Même si "Cosmopolis" séduit moins que "Crash" - de Don DeLillo, il faut lire l'excellent "Point Oméga" basé sur une installation inspirée de "Psychose" -, Cronenberg ne recule devant rien et surtout pas l'adaptation d’œuvres 'infilmables' (cf. le superbe "Festin nu").
    Pour un portrait impressionniste de cet auteur que nous aimons beaucoup, malgré ou à cause de ses métamorphoses :
    http://lemiroirdesfantomes.blogspot.fr/2014/07/la-fievre-au-corps-le-cinema-de-david_3015.html?view=magazine

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