mercredi 16 mai 2012

Pour saluer Fuentes


Carlos Fuentes – 1928-2012. 

Dans le ballet des commentaires stériles et la cacophonie de vide qui saturent les médias autour des moindres faits et gestes de notre nouveau président et des gesticulations du clan déchu, et dans la partie du petit espace laissé à l' "actualité culturelle" qui ne soit pas entièrement consacrée à l'imminente ouverture du Festival de Cannes, tombe soudain la nouvelle de la disparition de l'un des plus grands écrivains contemporains, et de mes préférés. J'étais justement en train, ces jours-ci, de lire et relire (respectivement) ses recueils de nouvelles fantastiques, Constancia et autres histoires pour vierges et le plus récent En inquiétante compagnie : c'est un sentiment étrange que de se dire qu'en tournant une page d'un livre, celui-ci change soudain, d'œuvre d'un auteur vivant, en celle d'un auteur "du passé" ; surtout quand le livre lui-même est plein de morts qui reviennent à la vie et de vivants qui ne le sont pas autant qu'ils le croient. Je me souviens avoir découvert Fuentes en me lançant, sans doute inconsidérément, et, si je ne me trompe, en marge de ma première année de fac, directement à l'assaut de Terra Nostra, massif immense et fou auquel je n'avais évidemment pas compris grand-chose, mais où j'avais puisé nombre d'images qui continuent depuis de peupler mon imaginaire. Les années qui suivirent (avec ou sans Laura Díaz...) l'installèrent définitivement dans mon panthéon personnel, non loin de ses "voisins" Carpentier et Cortázar. Fuentes, c'était un regard et une voix capables d'embrasser, et de brasser, tout à la fois le réalisme et l'onirisme, l'Histoire et l'actualité, la politique et la merveille. En somme, une sorte de serpent à plumes. Ses textes lui avaient valu le Gallegos et le Cervantes, soit les plus hautes distinctions littéraires d'Amérique latine et du monde hispanophone, mais il sera resté un de ces éternels favoris, toujours cités, jamais couronnés, du prix Nobel, laissé à la porte par les membres d'un comité qui, signalons-le en passant, parmi les lauréats de ces dernières années, lui aura préféré un certain nombre d'insignes médiocres. Tant pis. La liste de ses "œuvres complètes" comporte un certain nombre de romans non encore traduits en français, mais aussi d'autres dont nous ne connaîtrons jamais que les titres et la place qu'ils devaient occuper dans cette grande architecture inachevée qu'il avait conçu pour ses écrits. Tant pis encore. Tant mieux. Nous reste la part de l'imagination qui jamais ne s'éteint. Nous restent les mots magiques qui transfigurent le réel sans l'oblitérer.

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